VAILLANT, par Remedium.

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La dessinatrice franco-tunisienne défie avec son chat « Willis from Tunis » les censeurs de tous poils. Elle participe au débat sur « le pouvoir du dessin de presse » dimanche 18 septembre au MondeFestival. 

 

Nadia Khiari et son Willis from Tunis (64_page #6) à l’honneur sur le site du Monde!
Nadia Khiari, à Cannes, le 20 mai 2013.
Nadia Khiari, à Cannes, le 20 mai 2013.

A peine entrée dans la salle de classe, elle dessine au tableau un chat ventru, deux doigts levés en signe de victoire. C’est Willis, l’insolent matou dont les aventures brocardent depuis cinq ans les travers de la vie politique tunisienne.

On est en fin de matinée, l’heure où les collégiens s’affalent sur leur chaise, et Nadia Khiari attaque aussi sec : « Quand j’avais votre âge, le journal, on l’appelait le “Tout va bien”, parce qu’on n’y trouvait que des mensonges. »

Dans la classe, les corps se redressent. En jean et perfecto de cuir noir, la dessinatrice tunisienne arpente à grands pas la médiathèque du collège Cesaria-Evora de Montreuil (Seine-Saint-Denis), ce matin de juin, à l’invitation de l’association Cartooning for Peace, pour une séance sur la liberté d’expression.

Nadia Khiari raconte la peur, l’arbitraire du clan de l’ancien président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, les barrières invisibles qui délimitent le champ de ce que l’on peut dessiner ou écrire« Quand on voit ses amis jetés en prison parce qu’ils ont osé critiquer le régime, on apprend à ruser, à suggérer plutôt que dire. Jusqu’au jour où la parole se libère et là, il n’y a pas de retour en arrière possible. »

Un débat au Monde Festival:   Le pouvoir du dessin de presse

Willis from Tunis voit le jour sur Facebook le 13 janvier 2011, alors que les Tunisiens manifestent depuis un mois dans la rue contre la corruption et la répression policière. Le premier dessin représente des souris qui dansent sous le regard d’un Ben Ali en gros chat prêt à les croquer« C’était après son discours à la télé, il nous prenait vraiment pour des idiots avec ses belles promesses. »

Au départ, Nadia veut juste « faire rire quelques proches ». En une semaine, le profil de Willis passe de 20 à 1 500 amis et le chat devient l’une des icônes de la révolution tunisienne, tandis que les manifestations redoublent et que Zine el-Abidine Ben Ali décrète l’état d’urgence avant de quitter le pays.

Matous à barbe

Avec d’autres grafeurs, Nadia fête ce départ en investissant le quartier général abandonné des services de sécurité, sur les hauteurs de Tunis. « Je préfère les chats aux chiens parce qu’il n’y a pas de chats policiers », clame alors Willis sur les murs du bâtiment, symbole de la dictature. Il ne se taira plus.

Chaque jour ou presque, la caricaturiste publie un dessin sur les réseaux sociaux. La joie d’abord avec la préparation des élections d’octobre 2011, et aussi les premiers désenchantements et la montée de l’islamisme. Avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement de coalition dirigé par le parti islamiste Ennahdha, des matous à barbe font leur apparition dans les dessins de Nadia. Un censeur peut en cacher un autre. Willis sort ses griffes, à l’affût du moindre retour en arrière de la démocratie post-Ben Ali.

C’est pendant ses études en France, à la faculté d’arts plastiques d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), que la jeune femme a découvert le dessin satirique. Récompensée par le prix Honoré-Daumier en 2012, elle continue de travailler comme professeur d’arts plastiques dans un lycée de Tunis.

« Le fait d’avoir un boulot me permet de choisir avec qui je veux travailler », explique celle qui publie en France dans Siné MensuelZélium et Courrier International tout en continuant à poster sur Facebook l’essentiel de ses dessins. La presse tunisienne ? « Ça ne m’intéresse pas d’être la mascotte d’un parti. »

Le rire contre la peur

Les réseaux sociaux restent la clé de son indépendance. Willis leur réserve ses insolences de chat bavard et mal embouché. Pour le dessinateur Plantu, Nadia incarne « un dessin de résistance ». « Elle est doublement courageuse, insiste son collègue israélien Michel Kichka, en tant que dessinatrice satirique et en tant que femme dans le monde arabe. »

« J’essaie que mes dessins ne puissent pas être manipulés par la  ”fachosphère”, nuance la caricaturiste. Pour moi une caricature récupérée par des extrémistes pour manipuler l’opinion est par définition un mauvais dessin. » Elle dit conjurer la peur par l’humour. Après l’attentat contre l’équipe de Charlie Hebdo, en janvier 2015, elle a publié un chat en train de faire ses courses : « Je voudrais du papier, un crayon et un gilet pare-balles », dit-il.

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Aux élèves qui, dans les collèges, lui affirment que les dessinateurs de l’hebdo satirique « l’ont bien cherché », elle répond sans colère que « ceux qui sont morts à coups de kalach, c’était pas Satan mais des copains ». « La notion de sacré varie selon les gens. La vache est sacrée en Inde : est-ce que vous allez arrêter d’aller manger du steak au McDo ? »

Des « raisons de désespérer », elle en voit beaucoup : la misère qui touche 10 % des Tunisiens « sans que les gouvernements successifs se mobilisent vraiment » ou le vote sur la réconciliation nationale, qu’elle considère comme une « prime aux mafieux et un signe de connivence entre les alliés de Ben Ali et ce gouvernement ».La manipulation des foules aussi : « Regardez la polémique du burkini en France, on en fait des tonnes sur une poignée de femmes qui se baignent et on oublie les milliers de migrants qui se noient. »

La dessinatrice veut aussi se réjouir de « la jeunesse qui s’investit en Tunisie, des femmes qui sont sur tous les fronts, des idées qui avancent sur les droits des homosexuels ». A la rentrée, Nadia Khiari veut lancer des ateliers sur la liberté d’expression dans des écoles et des prisons tunisiennes.

Retrouvez toutes les infos sur le débat « Le pouvoir du dessin de presse », table ronde animée par le dessinateur Plantu. Avec les dessinateurs Michel Kichka, Louison, Firoozeh Mozaffari et Willis from Tunis. Dimanche, 18 septembre, de 11 heures à 12 h 30, Opéra Bastille (amphithéâtre), Paris 12e.

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LE SOLEIL DE LA LIBERTE

(version intégrale)

Vincent Baudoux

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