par Vincent Baudoux
Qui, à part quelque spécialistes, sait que la bande dessinée chinoise est bien plus ancienne qu’on ne l’imagine, appelée là-bas manhua, mot généraliste désignant un récit illustré, quelles que soient ses formes ou fonctions, dessin de presse, livre illustré, bande dessinée et même dessin animé ? Le Centre belge de la Bande dessinée, rue des Sables à Bruxelles, en offre un panorama passionnant.

En Chine, le plus ancien livre illustré (en xylographie) date de 868, alors que chez nous les premiers livres imprimés par Gutenberg sont postérieurs à 1450. Autant dire que cette forme d’art graphique n’est pas une invention occidentale ! Toutefois, il faut attendre le début du XXe siècle et les progrès technologiques issus de la révolution industrielle pour constater l’épanouissement de la BD sur les deux continents. Et là, surprise, c’est en 1929 – année de la création de Tintin – qu’apparaît Monsieur Wang, premier héros récurrent de la BD chinoise. Autre coïncidence, c’est en 1935, année du Lotus Bleu, que naît San Mao, le personnage chinois le plus célèbre, gamin aux gags comparables à ceux que Quick et Flupke imaginent à la même époque à l’autre bout du monde ! Quel est le point de vue chinois sur Tintin, et comment expliquer cette similitude entre des auteurs et des créations qui ne se connaissent pas, au même moment ?

Comme chez nous, le XXe siècle en Chine voit la diffusion massive de publications à vocation populaire. Dès 1927, le lianhuanhua se présente en petit format standarisé (12,5 x 10cm, plus réduit que nos cartes postales), tiré à plusieurs millions d’exemplaires, et propose un récit complet qui joint texte et image. Ce que nous appelons ici bande dessinée se nomme là-bas images enchaînées, de quoi faire la joie d’un sémiologue qui associerait ces appellations aux socles culturels différents dont elles sont issues.

Les années Mao Zédong (contemporaines de notre Mai 1968) récupèrent cette production populaire afin d’en faire un outil de propagande puissant. Il faudra attendre la fin du XXe siècle pour que l’ouverture se fasse en direction des autres mondes technologiquement plus avancés, l’Europe, les Etats-Unis, le Japon, et ce, tous genres confondus. Signe tangible de la globalisation, une production chinoise actuelle pourrait sans problème passer pour une production occidentale, ou japonaise, et inversement. Graphiquement, la remise en question des codes narratifs, avant-garde très à la mode chez nous, est tout aussi présente là-bas, alors que dans le même temps l’enracinement dans la tradition des oeuvres du passé s’efface.  L’exotisme ne se lit plus que dans les détails, dans certains relents esthétiques, mais pas davantage que nos contemporains, redevables – souvent à leur insu – de l’esthétique classique de la Renaissance. La production de BD chinoise contemporaine n’a rien à envier à celle du reste du monde, c’est tout à son honneur. Après avoir convergé, ces différentes cultures aux racines ancestrales tellement différentes seront-elles capables, ou non, de retrouver et développer de nouvelles singularités ? L’avenir le dira…

Panorama de la BD chinoise
CBBD, Centre belge de la Bande dessinée
20 rue des Sables
1000 Bruxelles
Jusqu’au 9 septembre
Du lundi au dimanche de 10h à 18h
www.cbbd.be

BD chinoise

Vue de l’exposition Panorama de la BD chinoise, photo Daniel Fouss, (c) Musée de la BD

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Un Lianhuangua de la période de Mao

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Zhang Leping, San Mao

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Zhao Hongben, Le roi des singes

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Feng Zikai, Discussion de la vie sous une faible lumière

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Li Kunwu & P. Otié, Une vie chinoise, editions Kana